Emmanuel Macron est un personnage fascinant. Sa victoire en 2017 entre esprit start’up et flibuste, doit beaucoup au délitement des partis traditionnels. Affaiblis par des promesses non tenues et par leur échec à vaincre le chômage, ils sont entrés en décomposition au profit de mouvements plus ou moins gazeux. A droite, l’auto-flingage de François Fillon fut un coup de chance pour EM, mais il n’était que la conclusion grotesque de logues années de guerre des chefs et de régression idéologique, entre gardiens d’un gaullisme modérément social, partisans d’un thatchérisme vieux de plus de 30 ans sur fond de concessions durables à l’idéologie national-xénophobe du RN. A gauche, le mal est plus profond : l’incapacité des partis de « gouvernement » à aligner paroles et actions, impuissance d’un accompagnement social du néo-libéralisme dominant, divisions sur la laïcité et sur les migrations, ont atomisé une gauche dont La France Insoumise est devenue, temporairement, le pôle d’attraction.

De cette double crise, EM a réussi à faire un pari : faire converger les courants libéraux de la droite et de la gauche, donner de la voix à ceux qui, au fait de la mondialisation et des technologies, veulent renouer avec un discours optimiste et européen, des start’up aux « entreprises sociales ». Le projet d’EM est apparu comme un « libéralisme social » plus entrepreneurial que le social-libéralisme timoré de la gauche ; il a incarné une attente ou plutôt des attentes : attente de modernité, dégagisme, rejet des idéologies confites au profit d’un pragmatisme de bon aloi. Le mirage qu’il a mise en scène a supposé ces aspirations.

Curieusement assez vite, ceci s’est effondré. La pensée moderne est apparue très vite datée. Datée un discours pro-européen peu à même de répondre efficacement à la vague populiste et à une nouvelle géostratégie multipolaire, brutale et inquiétante. Datée cette lubie à croire aux vertus du ruissellement (les « premiers de cordée ») quand tout montre que les inégalités explosent entre les super-riches et une classe moyenne paupérisée ou entre les métropoles cosmopolites et les Frances Périphériques.

Quant à cet équilibre entre libéralisme et solidarités, il a été rompu dès le début : composition du gouvernement, suppression de l’ISF, taxations pénalisantes du diesel, suppression d’une grande partie des contrats aidés, baisse des APL. Un aveuglement, celui de la caste de la haute finance, qui est maintenant directement aux affaires, a empêché de voir que le pays craquait de l’accumulation de quarante ans de problèmes non résolus : plusieurs fractures ouvertes ont acquis droit de cité avec les Gilets jaunes : inégalités des mobilités, fracture résidentielle et immobilière, d’autres sont là prêtes à exploser : banlieues, services publics en burn out (urgences, profs ou infirmières) souffrance au travail…           

Cette situation ne signe pas la fin du macronisme. L’absence de débouché politique à la crise des Gilets Jaunes peut conduire à leur récupération extrémiste et peut provoquer en réaction une défense de l’ordre face au vide et à la violence. Les élections Européennes vont positionner EM en leader du progressisme et continuer à atomiser la gauche.

Surtout, la critique systématique, excessive, sans contre-propositions solides est le meilleur allié d’EM. Par exemple, il n’est pas scandaleux de réformer l’ISF ; plutôt que de la restaurer comme un totem qui fait l’économie d’une vraie réforme fiscale, il faudrait de nouvelles mesures qui permettent effectivement d’orienter la richesse vers l’investissement sans tuer le mécénat. Par exemple, le plan Pauvreté est plutôt bien reçu par les grandes associations qui attendent de voir et enfin les propositions pour doper l’ESS et l’innovation Sociale méritent débat plutôt que condamnation de principe.   Et on attend de voir sur le terrain les prévisions de hausse significative des budgets de la politique de la ville.

 

La haine anti-macron est un symptôme de la crise sociale et politique. Elle ne peut tenir quitte l’opposition de construire un nouveau pacte social du 21° siècle.