L’histoire religieuse de notre continent a été marquée par trois monothéismes : le judaïsme, le christianisme, et l’Islam. Qu’ont-ils en commun ? Qu’ont-ils de différent ?

Ce qu’ils ont en commun, évidemment, c’est le fait de proposer une foi qui s’adresse à un dieu unique, révélé. Ces trois monothéismes participent d’une même histoire qui s’est nouée au Moyen Orient puisqu’elles ont en commun le sacrifice d’Abraham et ensuite l’apparition de lois morales interdisant le meurtre et d’autres crimes.

Mais ils sont différents.

Plutôt que de parler d’héritage judéo-chrétien et je crois qu’il faut, avec Jacques Attali, revenir sur cette notion qui est confuse. Si nous avons un héritage, qui est commun aux trois monothéismes, c’est un héritage judéo-grec Les prophètes, d’un côté, les philosophes de l’autre. La foi, la raison, dans un dialogue. Quand on regarde l’évangile de Jean, il fait du Christ le « logos » philosophique. C’est-à-dire que le verbe de Dieu, c’est aussi la raison philosophique.

Le christianisme va innover par rapport au judaïsme parce qu’il va proposer sa foi non seulement à son peuple mais à toute l’humanité. Avec la loi d’amour, il érige le principe de l’égale dignité de tous les hommes, quel que soit leur race, y compris les femmes, y compris les esclaves. Cette grande pensée universelle a nourri ensuite la pensée des droits de l’homme et l’héritage des Lumières

Le christianisme, dans les 12 premiers siècles, a rompu le dialogue entre la foi et la raison. Il a érigé la foi comme seul critère de vérité. Et ceux qui se passionnaient pour la raison, la science, ont été souvent persécutés. Il faudra attendre Saint-Thomas d’Aquin pour renouer le dialogue avec Aristote, grâce à l’apport d’un grand philosophe arabo-andalou, Ibn Rushd, qui a permis à l’Occident chrétien de récupérer cet héritage. Ce dialogue a été renoué et la raison s’est déployée : la Renaissance et les Lumières. Mais elle s’est déployée jusqu’à ne plus laisser aucune place à la foi au nom d’un scientisme qui s’est avéré extrêmement étroit.

A partir du 7° siècle, apparaît le troisième monothéisme en Arabie. C’est évidemment le prophète Mohammed et l’Islam. L’Islam, il faut le souligner, a contrario de ce que fait le christianisme à l’époque va récupérer l’héritage judéo-grec et instaurer un dialogue fécond entre la foi et la raison :  La Maison de la Sagesse à Bagdad, les philosophes rationalistes arabo-andalous. Il y a beaucoup d’exemples qui montrent cette passion philosophique au cœur de l’Islam. L’Islam va connaître ensuite une évolution inverse du Christianisme. La foi là aussi va se séparer de la raison et la disqualifier. La théologie rationaliste sera liquidée, les philosophes seront mis au pilori, et ce sera le pouvoir illimité des théologiens conservateurs.

 

Ce qui fait que, quand notre siècle apparait, on a le sentiment que, d’un côté il y a l’Occident qui a rompu le lien entre la foi et la raison avec une raison qui est réduite à l’utilité sociale et qui ne répond plus aux besoins spirituels de la population, et de l’autre côté, un Islam qui est enfermé dans une conception datée de la foi et a du mal avec la modernité. C’est évidemment beaucoup plus complexe que ça. Dans le siècle qui vient, l’Occident aura besoin de renouer avec une forme de spiritualité quand le monde musulman devra à nouveau rejoindre ce qui fut son histoire, c’est-à-dire renouer le lien entre la foi et la raison. 

Aujourd’hui, nous avons le sentiment qu’il y a le risque d’affrontements mais peut-être nous retiendrons de ce siècle qu’il fut finalement celui d’un dialogue fécond entre l’Occident de la modernité et l’Orient de la spiritualité.