J’ai lu récemment une phrase qui m’a fait réfléchir. On y disait que les questions locales ne pouvaient pas être séparées des débats nationaux. En clair, si par exemple, la droite, alliée au centre, combat la gauche au niveau national, on ne peut pas imaginer que la gauche s’allie avec des personnalités situées au centre.

Bien entendu, le national influe sur le local, le pays est dans la nation. Par exemple une politique gouvernementale fondée sur des baisses massives de dépenses publiques conduira nécessairement à une crise des services publics, et la suppression partielle des contrats aidés a eu des conséquences très négatives pour les associations de Roubaix.

Mais l’histoire montre aussi que les situations ne se superposent pas. La Métropole Européenne de Lille a été pour l’essentiel gouvernée par des coalitions, du fait de la répartition des forces qui ne donnait la majorité absolue à quiconque. La question était alors double : qui pilote, et est-ce une majorité de gestion ou une coalition de projet ? Construire ces coalitions avec des forces auxquelles on s’oppose sur le plan national, ce n’est pas trahir, c’est faire.

A Roubaix, la période des trente glorieuses a été marquée par une situation de « troisième voie » avec une gestion commune SFIO-Centre. Ceci correspondait au cadre national, la Guerre Froide conduisait à exclure les communistes, mais aussi aux cultures politiques locales où la question sociale était mobilisée par deux forces historiques : le socialisme municipal et le christianisme social. La période Diligent a été marquée par une campagne de 1983, très à droite, puis par une rhétorique « mon parti c’est Roubaix » qui voulait dépasser les clivages droite-gauche au nom de la gravité de la crise locale. Et René Vandierendonck dès 1995 a porté une coalition de projet unissant des personnalités de centre et de gauche ; son projet de Ville Renouvelée le conduisit ensuite à rejoindre le Parti Socialiste.

Aujourd’hui, nous affrontons le rejet des partis politiques. Ce rejet, massif, a pour causes le sentiment que ces formations sont assez équivalentes dans leurs approches et ne font pas des besoins des catégories populaires leur priorité. Le rejet porte donc sur l’offre comme sur la coupure entre « élites » et « peuple ». Et il ne se traduit pas par la décomposition des formations politiques classiques et une abstention record.

Aussi les débats sur la différence entre gauche et droite, entre la vraie gauche et la fausse gauche, ratent l’essentiel. Comment répondre à l’aspiration des citoyens au renouvellement ? Comment agir autrement dans la construction des programmes en mettant le citoyen au cœur de la délibération ? Comment répondre aux attentes des catégories populaires dans un cadre démocratique et humaniste ?

La distinction entre « droite » et « gauche » est variable au cours de l’histoire. Aujourd’hui sur quels enjeux se font les débats ? De mon point de vue, sur 3 points : faut-il privilégier le maintien de l’ordre et la sécurité ou les droits et le dialogue ? Faut-il mettre en priorité la transition ou le développement économique ? Faut-il travailler pour ceux qui sont dans la mondialisation ou faire un projet qui soit inclusif et réponse aux besoins de tous ? Ces oppositions ne sont pas binaires, il faut de la sécurité et des droits, il faut une économie performante dans une écologie sociale…

 

Aussi, la tendance est aujourd’hui à un nouveau municipalisme, c’est-à-dire des collectivités qui inventent des solutions alors que l’Etat est souvent en retrait et en échec. Ce sont des majorités de projet portées par des citoyens qui peuvent sortir de l’enfermement de la vieille politique. Certes les positions nationales peuvent s’imposer à des sections locales des partis, rejetant le rassemblement, parfois aux dépends de l’intérêt local. Mais nous croyons à l’autonomie de l’espace politique local, et donc à l’existence de marges de manœuvre à l’échelle locale, en dépit des préférences nationales. L’essentiel est bien le contenu des projets et la méthode pour les construire. C’est là-dessus que le choix se fera.     

Emmanuel Macron est un personnage fascinant. Sa victoire en 2017 entre esprit start’up et flibuste, doit beaucoup au délitement des partis traditionnels. Affaiblis par des promesses non tenues et par leur échec à vaincre le chômage, ils sont entrés en décomposition au profit de mouvements plus ou moins gazeux. A droite, l’auto-flingage de François Fillon fut un coup de chance pour EM, mais il n’était que la conclusion grotesque de logues années de guerre des chefs et de régression idéologique, entre gardiens d’un gaullisme modérément social, partisans d’un thatchérisme vieux de plus de 30 ans sur fond de concessions durables à l’idéologie national-xénophobe du RN. A gauche, le mal est plus profond : l’incapacité des partis de « gouvernement » à aligner paroles et actions, impuissance d’un accompagnement social du néo-libéralisme dominant, divisions sur la laïcité et sur les migrations, ont atomisé une gauche dont La France Insoumise est devenue, temporairement, le pôle d’attraction.

De cette double crise, EM a réussi à faire un pari : faire converger les courants libéraux de la droite et de la gauche, donner de la voix à ceux qui, au fait de la mondialisation et des technologies, veulent renouer avec un discours optimiste et européen, des start’up aux « entreprises sociales ». Le projet d’EM est apparu comme un « libéralisme social » plus entrepreneurial que le social-libéralisme timoré de la gauche ; il a incarné une attente ou plutôt des attentes : attente de modernité, dégagisme, rejet des idéologies confites au profit d’un pragmatisme de bon aloi. Le mirage qu’il a mise en scène a supposé ces aspirations.

Curieusement assez vite, ceci s’est effondré. La pensée moderne est apparue très vite datée. Datée un discours pro-européen peu à même de répondre efficacement à la vague populiste et à une nouvelle géostratégie multipolaire, brutale et inquiétante. Datée cette lubie à croire aux vertus du ruissellement (les « premiers de cordée ») quand tout montre que les inégalités explosent entre les super-riches et une classe moyenne paupérisée ou entre les métropoles cosmopolites et les Frances Périphériques.

Quant à cet équilibre entre libéralisme et solidarités, il a été rompu dès le début : composition du gouvernement, suppression de l’ISF, taxations pénalisantes du diesel, suppression d’une grande partie des contrats aidés, baisse des APL. Un aveuglement, celui de la caste de la haute finance, qui est maintenant directement aux affaires, a empêché de voir que le pays craquait de l’accumulation de quarante ans de problèmes non résolus : plusieurs fractures ouvertes ont acquis droit de cité avec les Gilets jaunes : inégalités des mobilités, fracture résidentielle et immobilière, d’autres sont là prêtes à exploser : banlieues, services publics en burn out (urgences, profs ou infirmières) souffrance au travail…           

Cette situation ne signe pas la fin du macronisme. L’absence de débouché politique à la crise des Gilets Jaunes peut conduire à leur récupération extrémiste et peut provoquer en réaction une défense de l’ordre face au vide et à la violence. Les élections Européennes vont positionner EM en leader du progressisme et continuer à atomiser la gauche.

Surtout, la critique systématique, excessive, sans contre-propositions solides est le meilleur allié d’EM. Par exemple, il n’est pas scandaleux de réformer l’ISF ; plutôt que de la restaurer comme un totem qui fait l’économie d’une vraie réforme fiscale, il faudrait de nouvelles mesures qui permettent effectivement d’orienter la richesse vers l’investissement sans tuer le mécénat. Par exemple, le plan Pauvreté est plutôt bien reçu par les grandes associations qui attendent de voir et enfin les propositions pour doper l’ESS et l’innovation Sociale méritent débat plutôt que condamnation de principe.   Et on attend de voir sur le terrain les prévisions de hausse significative des budgets de la politique de la ville.

 

La haine anti-macron est un symptôme de la crise sociale et politique. Elle ne peut tenir quitte l’opposition de construire un nouveau pacte social du 21° siècle. 

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