INTRODUCTION
Bonjour, je m’appelle Michel David. Je suis heureux de vous accueillir dans ce parcours « Laïcité et gestion du fait religieux ».
Ce parcours a été conçu par l’agence Le Cinquième Pôle, dédiée à l’innovation responsable, et par l’IRTS de Lille (Institut régional du travail social) qui est un institut de formation supérieure de travailleurs sociaux.
Quand vous allez entrer dans ce parcours, 8 modules sont proposés.
Dans un premier temps, nous allons interroger LAICITE, UNE EVIDENCE BOUSCULEE. La laïcité que vous pensez tous connaître apparait finalement comme un espace de débats.
Dans un deuxième module, nous allons étudier les relations entre sociétés et religions en France mais aussi plus largement dans le monde.
Nous allons ensuite présenter Les TROIS MONOTHEISMES qui ont structuré l’espace européen : Judaïsme, Christianisme, Islam. Qu’est-ce qu’ils ont de commun et quelles sont leurs différences ?
Puis, nous nous attacherons plus particulièrement à ISLAM puisqu’il suscite beaucoup de débats, pour montrer combien l’Islam, loin d’être un « bloc », est un espace de débats et de confrontations entre différentes orientations.
Nous aborderons ensuite le phénomène difficile à décrypter de la RADICALISATION.
Enfin dans trois modules, nous allons nous intéresser aux aspects plus méthodologiques et opérationnels de la gestion du fait religieux. Un module parlera du fait religieux dans les institutions et les collectivités, un autre du fait religieux dans le monde social notamment dans des associations, et un module enfin sur le monde du travail.
Nous espérons vous apporter des points de repère mais aussi vous donner le libre choix d’apprécier les débats et les options diverses qui sont présentes dans les débats publics. Pour cela, nous allons vous proposer des textes, des ressources documentaires, écrits et vidéos.
Nous avons aussi réalisé des entretiens filmés d’experts et d’acteurs de terrain pour nourrir cette réflexion.
Un espace vous sera proposé où vous pourrez faire vos remarques, suggestions, critiques, apporter vos contributions, déposer vos initiatives, parce que ce parcours, nous l’avons fait pour vous mais c’est vous qui allez le faire vivre.
Après avoir vu les questions relatives à l’espace public, à l’espace du social, il nous reste à regarder l’espace du travail. Est-ce qu’on doit laisser ses convictions religieuses à la porte de l’entreprise ?
Et bien, là aussi, on voit que de nouvelles problématiques sont apparues, de nouvelles revendications qui ont perturbé les employeurs qui n’étaient pas habitués à traiter ce type de questions.
Par exemple, dans certaines entreprises, se pose la question du calendrier par rapport aux fêtes religieuses. Se pose la question de concilier les contraintes de travail pendant la période de ramadan.
Donc là aussi, la nécessité d’être professionnel, d’être rigoureux s’impose à tous et il faut rappeler quelques points de repères simples.
D’abord, rappeler que quand un salarié travaille dans une entreprise, il y a un contrat de travail qui est fondamentalement un contrat de subordination. Ça veut dire qu’en signant ce contrat, il accepte un certain nombre de règles liées à l’hygiène, la sécurité, les horaires, etc. Donc évidemment, la première règle est que le contrat de travail s’impose.
Deuxième élément, il faut faire preuve de bon sens. Par exemple, si je fais le ramadan, je ne vais pas manger de la journée, je peux être avoir des moments de faiblesse. On voit bien que là, il ne s’agit pas d’interdire à la personne de faire le ramadan mais il s’agit pour le manager d’apprécier les situations de telle sorte que, pour le moins, les règles de sécurité soient appliquées.
Il y a des règles qui s’imposent à tous.
Pour appliquer les règles intelligemment, il faut être capable de dialoguer. Pour trouver des solutions, afin que les règles s’appliquent et que les convictions ne soient pas humiliées.
Enfin, pour éviter qu’un problème ne devienne un conflit ou une impasse, la seule solution c’est la professionnalisation. C’est d’armer les chefs de services, les agents de maitrise, managers, directeurs à gérer les situations non pas en fonction de leurs propres références, mais en fonction de règles qui garantissent l’égalité de tous les salariés.
Qu’est-ce qu’un fait religieux ?
Un fait religieux n’est pas une croyance, une foi. De cela nous n’avons rien à dire. Un fait religieux est un fait social en référence à un univers religieux et que la société doit traiter.
On peut donner quelques exemples. Si j’ai besoin pour célébrer une fête religieuse de demander une autorisation d’absence à mon employeur, c’est un fait religieux qu’il nous faut gérer. Si je ne peux pas manger tel ou tel aliment parce que ma religion a des interdits alimentaires et que je n’ai pas un menu alternatif à la cantine, c’est un fait religieux. Si je dois organiser des funérailles et suivre les rites particuliers, je vais devoir demander peut-être des autorisations spéciales Donc nous n’allons pas parler de foi ou de croyance ou de ce qui relève de l’intimité.
Qu’est-ce que l’espace public ? La première définition oppose privé et public. L’espace privé, c’est ce que je sens dans mon cœur, c’est ce que je fais chez moi. En dehors de chez moi, c’est l’espace public. Mais on comprend tout de suite que selon l’espace public, la gestion du fait religieux va être différente.
Quand on est dans l’espace public de l’Etat - administration, préfecture- pour tous les fonctionnaires détenteurs de l’autorité publique, l’obligation s’impose de la neutralité absolue dans l’expression d’une conviction religieuse.
Mais on peut se poser la question : dans ces cas-là, est-ce que les usagers sont concernés ? En général, non. Une personne qui porte un foulard, elle doit être traitée par l’administration comme n’importe qui. C’est une autre application de principe de neutralité. Donc on a l’espace public dit institué où des règles de neutralité s’imposent dès lors qu’on est détenteur d’autorité publique.
Un autre espace public sacralisé par la République, est celui de l’école. L’éducation nationale. Là évidemment, les enseignants sont tenus à la neutralité religieuse, mais l’Etat a considéré que pour préserver la possibilité pour les enfants de se construire dans une approche critique d’émancipation, il fallait éviter que les signes religieux s’expriment à l’école ; ces règles ne concernent ni l’enseignement privé, ni l’université.
Maintenant regardons ce qui se passe dehors, dans la rue, sur les places publiques. Pouvons-nous exprimer notre foi religieuse ? Est-ce qu’une procession religieuse est une atteinte au principe de laïcité ? Et bien la tradition laïque en France répond très clairement : non ! L’interdiction du voile intégrale dans l’espace public, il faut le rappeler, n’a pas été faite au nom de la laïcité mais au nom des problématiques d’ordre public.
A part ces exceptions, l’espace public, en dehors de l’espace de l’Etat, c’est un espace libéral, l’espace de liberté.
Les seules limites à la liberté, c’est évidemment le non-respect de règles communes d’ordre public ; c’est évidemment toute forme d’imposition d’une croyance aux autres. Donc dès lors que chacun peut s’exprimer, peut cohabiter, l’espace public peut fonctionner. C’est à cette condition qu’il est un espace commun.
Nous allons maintenant aborder d’autres questions de gestion du fait religieux. C’est le cas des associations et toutes les activités dites socio-éducatives, ou qui relèvent du travail social.
Deux grandes problématiques peuvent être évoquées.
D’abord, une question qui n’est pas facile à trancher, c’est la situation où une association met en œuvre dans un cadre de subvention ou d’une convention, une mission de service public. Une association qui anime une garderie dans un quartier, c’est une mission de service public. Est-ce que les règles de neutralité s’appliquent aux salariés de cette association alors même qu’ils ne sont pas fonctionnaires ? Cette question a donné lieu à des débats extrêmement vifs, entre ceux qui estimaient qu’on ne devait pas élargir la neutralité imposée aux fonctionnaires à des personnes qui étaient salariés contractuels, voire vacataires et dont l’employeur n’était pas un directeur de l’administration, mais le président d’une association, et ceux qui ont considéré que dès lors que l’association était délégataire du service public, on devait respecter les règles du service public.
Le deuxième débat porte sur la difficulté pour des professionnels qui travaillent avec des enfants et des jeunes à parler de ces questions religieuses. Pourquoi ? Parce que ce sont des questions intimes sur lesquelles il y a beaucoup de tensions ; il est donc nécessaire de développer une posture professionnelle, la capacité de mettre à distance ces situations pour les traiter de manière correcte
Mais c’est aussi le fait que dans le travail social, beaucoup de professionnels sont eux-mêmes issus des quartiers où ils travaillent ; ils ont donc une histoire personnelle sur ces questions de religion. C’est une histoire liée à leur famille, c’est eux-mêmes qui ont vécu l’humiliation et la discrimination. Là aussi le grand problème est professionnellement d’arbitrer entre ce que je pense, ce que je crois, et une posture professionnelle et éducative.
C’est pourquoi aujourd’hui, les travailleurs sociaux, dans les centres sociaux, les établissements qui accueillent les personnes handicapées, les personnes âgées, les jeunes, qui sont des résidences, des foyers, des associations sportives, des associations de soutien scolaire, ont compris qu’ils devaient travailler fortement ces questions pour définir les règles communes de gestion du fait religieux.
Avec un phénomène comme Al-Qaïda ou Daech, soi-disant Etat Islamique, mais aussi avec des attentats meurtriers qui ont frappé la France et l’Europe, le mot de radicalisation s’est imposé à tous. C’est un mot qui n’est pas facile à appréhender car finalement, « qu’est-ce qu’être radicalisé ? »
On pourrait dire que dans les années 1960, les jeunes gens qui se reconnaissaient dans le maoïsme ou dans le castrisme pourraient apparaître comme des marxistes radicalisés. On peut voir ici et là les groupes dits identitaires tentés par la violence contre les jeunes immigrés, dont on peut dire qu’ils radicalisent certaines idées de l’extrême droite. Mais en fait dans les médias, dans les opinions, le radicalisé, c’est le musulman radicalisé.
Alors il faut essayer de comprendre ce phénomène dans sa complexité, car dès qu’on a une explication, on a d’autres faits qui invalident cette explication. Certains disent que la radicalisation est liée aux conditions sociales, ce sont des jeunes qui viennent des quartiers prioritaires. Or, ce n’est pas toujours vrai. On dit que ce sont des gens qui fréquentent la mosquée mais parfois ce sont aussi des familles de classe moyenne de tradition chrétienne qui voient leurs jeunes adolescents basculer. On dit que ce sont des gens qui sont passés par Internet, mais ça peut être aussi un groupe de copains dans le quartier qui s’enflamment et entrainent du monde dans cette spirale. Quand on regarde qui sont les jeunes radicalisés suivis par les cellules d’accompagnement, on s’aperçoit que d’abord, ce sont des très jeunes gens et souvent des jeunes filles. Fethi Benslama vient de montrer que la radicalisation ne pouvait pas se comprendre sans une réflexion sur les difficultés pour un adolescent de se situer dans la société des adultes. Qu’est-ce qui fait l’unité de ce phénomène de la radicalisation ?
D’abord, on peut dire que c’est une certaine forme d’engagement total jusqu’à la mort, et donc une certaine disposition psychologique qui n’est pas forcément partagée par la majorité. On s’aperçoit aussi que c’est un univers de représentations, un univers cognitif. C’est une pensée extrême. Elle ne laisse aucune place à la contradiction mais laisse toute la place aux complots : tout ce qui vous disent les institutions, c’est faux ; cet univers paranoïaque structure les comportements radicalisés. Et le troisième secteur d’unité de la radicalisation, c’est le fait que ces jeunes prennent au sérieux la promesse de l’Etat Islamique. C’est-à-dire la promesse de réalisation du Califat, une voie glorieuse vers une vie qui a enfin un sens.
Alors toute l’Europe réfléchit à une question simple : comment récupérer ces jeunes qui ont été radicalisés ? Comment empêcher les jeunes de basculer dans la radicalisation ? Quand on voit que ça peut se faire rapidement, que ce n’est pas toujours détectable, parce que ce ne sont pas toujours des jeunes qui ont connu la délinquance ou des difficultés sociales. Donc aujourd’hui, beaucoup d’expériences sont menées en Grande Bretagne, au Pays bas, en Allemagne, en France pour mettre en place des dispositifs pour comprendre cette maladie qui s’est emparée de l’Europe, la France et la Belgique en premier.