Quand on parle de l’Islam aujourd’hui, à la télévision, dans les médias, dans les réseaux sociaux, on parle de terrorisme, de djihadisme, de Salafisme. Mais on dit « l’Islam ». Comme si l’Islam était un bloc. Comme s’il est inchangé depuis sa naissance. Et c’est évidemment un immense contre-sens.
Regardons d’abord l’histoire. L’Islam, celui qu’on connaît au 21e siècle, n’est pas celui qui a pris naissance au 7e siècle en Arabie. Entre ces deux moments, il y a l’âge de la conquête et l’Islam est devenu un immense empire qui régnait sur des cultures et à des époques très différentes. On voit bien que les musulmans ont emprunté aux Grecs, aux Chrétiens, aux Juifs, aux Perses, aux Byzantins, aux Indiens, des notions scientifiques mais aussi les modes de gouvernement, l’administration, l’organisation militaire. Donc c’est un empire par définition multiculturel.
Le deuxième élément qu’il faut comprendre est que cette extension rapide a conduit à une forme d’instabilité constante. Trop gros cet empire pour ne pas être souvent déstabilisé ! Il y a eu donc les invasions turques, mongoles, la reconquête chrétienne. On voit que l’Islam, ce sont des moments d’expansion, de stabilité, de division, de recul. Un empire multiculturel, un empire instable.
L’Empire Ottoman, à partir de Constantinople devenu Istanbul, est puissant (Il fait le siège de Vienne par deux fois jusqu’au 18° siècle, et donc il est aux portes de l’Europe). C’est une grande puissance, mais c’est une puissance immobile qui ne progresse plus, qui est finalement gelée dans une espèce de conservatisme, politique et intellectuel.
Quand Bonaparte conquiert l’Egypte, au début du 19e siècle, les chocs est immense. Les musulmans prennent conscience de leur retard technologique, scientifique, militaire. Cela a produit une grande blessure et un grand trouble.
Pour résoudre ce problème, on voit apparaître différents mouvements au 19e siècle qui sont des mouvements réformistes qu’on appelle la Nahda, c’est-à-dire la Renaissance. Il y a des musulmans qui veulent renouer avec l’Islam spirituel, veulent revenir à la pureté des origines mais en même temps apprendre de l’Occident pour moderniser leur pays, Il y a des musulmans qui vont se dresser contre l’Occident. Ce sont par exemple les Wahhabites en Arabie, secte ultra rigoriste, qui va avoir une grande influence ensuite grâce au pétrole. Ou les frères musulmans qui naissent en Egypte en 1928, qui sont à la fois un groupe politique populiste, souhaitant donner tout le pouvoir à l’Islam dans la société et donc mener un combat politique.
Alors quel faut-il retenir de tout ce mouvement ? La première leçon est la diversité. L’Islam des mourides du Sénégal n’est pas celui de la péninsule arabique et la Turquie n’est pas le Maroc. L’Islam, c’est plusieurs écoles juridiques. Telle école va se consacrer à la jurisprudence, telle école va se consacrer à la définition de l’intérêt commun, telle école va être ultravigilante sur le respect littéral des textes jusqu’à l’absurdité. L’islam, c’est aussi plusieurs théologies : théologie rationaliste qui va être battue par des théologies plus conservatrices, ou les théologies de type salafiste qui prônent un retour aux origines. C’est encore le soufisme, grand mouvement de l’Islam spirituel, de l’Islam intérieur, de la rencontre personnelle intime. Donc la première leçon, c’est la diversité.
La deuxième leçon, c’est que ce monde d’extension, de recul, d’instabilité, d’équilibre précaire est un monde de débats. Débats entre théologiens et philosophes, entre conservateurs et modernisateurs. Les débats qui agitent aujourd’hui le monde musulman ne sont que la continuation de débats très anciens. Faut-il utiliser la violence pour faire régner ses idées ? Faut-il refonder l’Islam, le réformer pour qu’il soit dans la capacité d’absorber la modernité occidentale, ou au contraire, faut-il se dresser contre l’Occident qui en serait l’ennemi ?
Les débats qui agitent le monde musulman ne sont pas des débats nouveaux mais prolongent ceux qui existent depuis la naissance de l’Islam. Il est probable qu’au 21e siècle, ces sociétés auront le choix entre d’une part la crispation identitaire contre la modernité ou au contraire, comme pour le christianisme, une espèce d’accord entre une foi religieuse renouvelée et une modernité apprivoisée.